samedi 14 juin 2008

Jean-François Hamon: Tchernobyl : comment vivre après la catastrophe ?

Tchernobyl : comment vivre après la catastrophe ?
3 juin, par Jean-François Hamon


Il était un peu déconcertant de ne trouver qu’un public somme toute assez clairsemé, les 15 et 16 mai à Lyon, dans le grand amphithéâtre de l’École Normale Supérieure (Sciences), pour assister à la conférence internationale “Vivre Tchernobyl”, dont les quelque vingt-cinq interventions auront été à la fois denses et abordables malgré leur caractère parfois pointu, très souvent vibrantes d’éloquence, d’émotion, de conviction, et jamais délivrées comme des communications scientifiques hermétiques.
Ce sont donc seulement 40 à 80 personnes, au mieux, intervenants inclus, qui auront écouté les propos d’un “plateau” constitué de la plupart des meilleurs spécialistes (surtout biélorusses, russes, ukrainiens et français) des conséquences, littéralement infinies, de l’accident d’avril 1986. Manquaient ceux de l’OMS – si tant est qu’il y en ait, cette éminente institution s’appliquant en réalité à ne pas prendre en compte lesdites conséquences, et faisant du coup davantage partie du problème que de la solution. Une défaillance que d’ailleurs souligne la présence permanente, depuis le 26 avril 2007, à Genève, aux abords immédiats du siège de l’OMS et à l’appel du collectif “Independent WHO / Pour l’indépendance de l’OMS”, de vigies persévérantes qui, panneaux et banderole à l’appui, rappellent et dénoncent la convention de 1959 passée entre cette dernière et l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) : une convention par laquelle, via surtout l’un de ses articles véritablement contre-nature, les recherches de l’OMS touchant à l’impact du nucléaire sur la santé sont soumises à l’aval de l’AIEA, donc privées de toute indépendance, et très significativement réduites…
Et à Lyon, c’est par exemple à l’analyse de cette perversion de la mission de l’agence onusienne dédiée à la santé que s’est notamment attachée l’intervention, aussi argumentée qu’accusatrice, d’Alison Katz, psychologue, sociologue et ancienne fonctionnaire de cette institution.
En elle-même, par sa dimension institutionnelle, l’initiative de cette conférence internationale pouvait surprendre : elle était en effet due au Conseil régional Rhône-Alpes. Mais c’est en vérité à l’insistance résolue d’une vice-présidente dudit conseil, élue Verte, Hélène Blanchard, que la conférence doit de s’être tenue. Malgré l’absence de tout autre représentant de la puissance invitante, malgré une communication manifestement très insuffisante qui explique en partie l’assistance limitée.
Dans une ambiance néanmoins très réceptive, sont donc intervenus près de vingt-cinq spécialistes, physiciens (dont Vassili Nesterenko), atomistes, médecins (dont Youri Bandajevsky), généticiens, sociologues et autres chercheurs en sciences humaines ou sociales (dont Galia Ackerman), journalistes et écrivains (dont Svetlana Alexievitch), “liquidateurs” de la catastrophe et représentants d’associations aussi diverses que la CRIIRAD, l’ACRO, Pousse de vie ou Enfants de Tchernobyl Bélarus. Et par les sujets abordés, les questions soulevées et les échanges en eux-mêmes, la conférence a eu une valeur que l’organisatrice n’hésitait pas à qualifier d’historique : franchement pluridisciplinaire et bien plus ouverte qu’une précédente d’avril 2005, organisée à Lyon déjà, et en cela autorisant un dialogue très direct, permettant la discussion de tous les aspects des conséquences de la catastrophe, n’ignorant jamais toute la complexité de la situation des populations toujours confrontées à la contamination radioactive, notamment les aspects culturels, souvent insoupçonnés ou “secondarisés”. Liberté d’échange qui aura d’ailleurs suscité certaines polémiques, parfois très virulentes, mais sans doute assez salutaires. Surtout concernant l’appréciation qui peut être portée sur le programme européen dit CORE de réhabilitation des zones contaminées et sur l’évaluation de son action. Ce programme prolongeait en effet la mise en œuvre en Biélorussie en 2003 d’un projet de recherche portée par une association, Ethos, elle-même investie par des promoteurs français du nucléaire et leur permettant en quelque sorte d’“occuper le terrain”, avec la caution très discutée d’autres associations et organismes, portés sans doute par les meilleures intentions du monde – mais l’on sait ce qu’il en est, souvent, des bonnes intentions…
Quant aux campagnes de distribution de Vitapect (additif alimentaire naturel à base de pectine de pomme) aux enfants (pour faire chuter leur charge radiotoxique en césium 137) mises au point et initiées par l’Institut Belrad du professeur V. Nesterenko – et que celui-ci s’efforce non seulement d’expliquer et de justifier en toute occasion mais aussi de développer en Biélorussie malgré les très sévères embûches tendues par les autorités du régime du dictateur Loukachenko ou bien (sur quoi insiste Wladimir Tchertkoff, notamment dans son livre Le crime de Tchernobyl) par des programmes internationaux délibérement velléitaires ou finalement néfastes –, elles n’ont pas été remises en cause dans leur efficacité, au contraire, même si elles n’ont apparemment pas toujours été senties comme une solution automatique ou à long terme dans des zones contaminées qui regroupent plusieurs millions d’habitants. Affaire d’appréciation des priorités dans un contexte social biélorusse extrêmement déficitaire ? Affaire de perception des pathologies induites, surtout chez les enfants, par l’exposition chronique à de faibles doses de radioactivité ou par l’ingestion de radionucléides, insuffisamment connues ou prises en compte malgré la portée considérable des travaux d’un Bandajevski ? Affaire de réaction face aux effets stochastiques (effets nocifs aléatoires dans le temps et dans la forme clinique, c’est-à-dire non prévisibles et non distinctifs au niveau individuel) dans un environnement même moins contaminé ? Entre l’urgence de l’impératif sanitaire des uns, la problématique plus attentiste des autres et la carence ou l’inertie des autorités ou des institutions internationales, le tableau apparaissait souvent dramatique, révoltant, marqué par la menace indicible d’une connaissance terriblement lacunaire de la catastrophe considérée dans sa globalité comme dans ses détails.
Des constats décortiqués à Lyon, presque tous plus alarmants les uns que les autres, n’émerge finalement qu’une certitude : la tragédie de Tchernobyl est encore devant nous, la catastrophe est un arbre qui pousse, selon l’expression qu’ont reprise les populations locales affectées.
La vice-présidente du Conseil régional n’a pas manqué de conclure sur la nécessité de politiques de solidarité européennes à l’égard des victimes de Tchernobyl, passant particulièrement par des actions de coopération décentralisée qu’elle veut soumettre à son assemblée. Avec la même espérance qu’elle, on voulait croire que ce ne serait pas vœux sans lendemain ou promesses sans moyens.

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