Au téléphone, le porte-parole d'Areva est mal à l'aise : "En ce qui concerne la mise en œuvre du transport maritime, je ne peux vous l'indiquer, par ordre de nos autorités, qui nous imposent la confidentialité.
– Mais à qui le Mox produit, à partir de ce plutonium, est-il destiné ?
– Je ne peux pas nommer les clients, ce sont des éléments commerciaux non publics.
– Et quelle quantité de plutonium est-elle transportée ?
– Je ne peux pas vous le dire, pour la même raison commerciale."
Areva ne veut rien dire à propos de l'Atlantic Osprey, navire parti du port anglais de Workington, samedi 17 mai, et arrivé, mercredi 21 mai à 2 heures du matin, à Cherbourg. Au ministère de l'écologie, le conseiller de Jean-Louis Borloo chargé des questions de l'énergie avoue qu'il "n'est pas plus au courant que ça" [du transport]. L'Autorité de sûreté nucléaire explique quant à elle que son rôle se limite à s'assurer que le plutonium sera manipulé de manière sûre, mais qu'elle n'en sait pas plus. Le Haut-Comité pour la transparence et l'information nucléaire abordera la question… en juin.
Si l'industrie et le gouvernement voulaient montrer que le nucléaire est secret et dangereux, ils ne s'y prendraient pas autrement. Il a fallu que Greenpeace et l'association anglaise Core enquêtent pour que l'on apprenne que la Grande-Bretagne et la France organisaient, entre Sellafield et La Hague, des transports secrets de plutonium – une des matières les plus toxiques au monde.
Ainsi sait-on que les compagnies Sellafield Limited et Areva ont convenu d'acheminer à La Hague du plutonium anglais, afin qu'il soit expédié à Cadarache pour être transformé en Mox, un combustible nucléaire mélangeant plutonium et uranium.
Dans un premier temps, 1,3 tonne de plutonium est concernée, soit 4 à 5 transports. L'Atlantic Osprey, arrivé à Cherbourg mercredi, acheminait environ 360 kg de plutonium. "Celui-ci est contenu dans des récipients de type Safkeg, d'une capacité de 18 kg, explique Yannick Rousselet, de Greenpeace. Ils sont placés par dix dans un conteneur d'une longueur de vingt pieds, lui-même posé sur le plateau d'un camion. Deux camions ont débarqué [dans la nuit du 20 au 21 mai]." L'Atlantic Osprey est un simple ferry, construit en 1986 ; alors que des vaisseaux spécialement conçus pour le transport de matières nucléaires, le Pacific Pintail et le Pacific Teal, sont disponibles. A la différence de ceux-ci, il n'est pas armé, ne comprend qu'une simple coque et un seul moteur. Cela pourrait faciliter une attaque terroriste, comme l'ont souligné des parlementaires britanniques quand l'affaire a émergé, en mars.
De surcroît, "ces navettes de plutonium à travers le rail maritime le plus fréquenté du monde sont dangereuses, dit Jacky Bonnemains, de Robin des bois. En 1984, un ferry chargé d'uranium, le Montlouis, avait coulé dans la Manche".
Il semble que le plutonium acheminé vienne compenser du plutonium français utilisé par Areva pour fabriquer du Mox pour le compte de Sellafield Limited. En effet, celle-ci est incapable de remplir ses obligations contractuelles : son usine de Mox, basée à Sellafield, n'a jamais fonctionné correctement.
Le 22 février, le ministre britannique de l'énergie, Malcolm Wicks, a reconnu devant la Chambre des communes qu'en cinq ans elle n'avait produit que 5,2 tonnes de Mox, alors que sa capacité nominale est de 120tonnes par an. Comme la compagnie avait signé des contrats avec des clients étrangers, elle s'est trouvée dans l'incapacité de les satisfaire et Areva a sous-traité une partie de ses contrats, notamment pour la compagnie allemande E.ON.
Mais combien de Mox Areva compte-t-elle produire pour le compte de Sellafield Ltd? Celle-ci a accumulé vingt tonnes de plutonium en attente de moxage. "Les compagnies pourraient avoir prévu un transfert total vers la France", dit M. Rousselet. Areva a explicitement proposé au gouvernement britannique de traiter les déchets de ce pays en France. "Si Thorp [l'usine de retraitement située à Sellafield] devait fermer, des solutions existeraient en France pour retraiter les matériaux britanniques", indiquait la compagnie, le 1er octobre 2007, dans sa réponse à la consultation publique menée par Londres.
Sans débat ni information, Areva, qui voudrait construire des réacteurs nucléaires outre-Manche et est candidate à la gestion de Sellafield, engage la France de plus en plus nettement dans la gestion des déchets nucléaires anglais. La société a aussi accepté de traiter 235tonnes de combustibles usés italiens. "Est-ce l'intérêt de la France de gérer les déchets nucléaires européens?, interroge Mycle Schneider, consultant indépendant.
L'intérêt public n'est pas forcément le même que celui des compagnies."
Hervé Kempf
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Greenpeace conteste un décret sur les déchets étrangers Début mai, Greenpeace a déposé un recours devant le Conseil d'Etat concernant un récent décret relatif à la gestion des déchets et combustibles nucléaires usés provenant de l'étranger. L'association écologiste estime que ce texte contrevient à la loi de 2006 sur les déchets, en permettant aux opérateurs français de ne pas renvoyer aux pays clients la totalité des déchets induits par les opérations de traitement. Sont notamment exclus "les déchets occasionnés par le seul usage des installations de l'exploitant", précise le décret. "Pour renforcer la compétitivité d'Areva, la France accepte d'être la 'poubelle nucléaire internationale'", dénonce Frédéric Marillier, en charge de la campagne Energie de Greenpeace France. "Ces déchets ne sont certes pas les plus radioactifs", ajoute-t-il, mais ils représentent près de 20 000 tonnes de matières réparties dans près de 50 000 colis stockés à la Hague pour la plus grande partie, et à Marcoule dans le Gard, selon des estimations de l'agence Wise-Paris.
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